mardi 20 juillet 2010

Le temps qui court

IL Y A QUELQUES SEMAINES :

L’ambiance était tout de même détestable pendant cette semaine où mes enfants étaient tous à la maison. On sent parfaitement bien l’animosité qui oppose ma-dame et mes aînées. Rien ne se dit mais cela suinte. Chacun épie l’autre, cherche dans ses faits et gestes la justification de son rejet de l’autre. Et cela fonctionne parfaitement car il y a toujours quelque chose à trouver.

Je ne sais pas si j’arriverais à faire une liste des récriminations. Je crois que comme je m’écarte de ces considérations stériles et futiles, que je me ferme – pour me protéger – et renonce à essayer de réconcilier les deux partis, je ne retiens pas ce que j’entends. C’est ma grande spécialité : je n’écoute pas, je ne donne pas prise. C’est incroyablement pénible pour mon entourage. J’éprouve un tel manque d’intérêt pour cela – et tant d’autres choses – que je n’arrive pas à m’impliquer complètement. De temps en temps, j’interviens, je discute, je raisonne, j’agis pour apaiser les tensions mais comme je sais que le calme ne sera que temporaire, je n’y mets pas toutes mes forces et ma volonté.

J’ai réussi tant bien que mal à imposer un minimum de respect. Non, le mot est mal choisi. Pas du respect mais des règles de savoir vivre. Dire « bonjour », dire « au revoir », débarrasser ses affaires, nettoyer ce que l’on a sali. C’est normal. Ma-dame n’est pas une femme de ménage. Je crois avoir réussi aussi à ce que ma-dame le reconnaisse. J’ai tenté de lui faire comprendre que son impression de ne pas être chez elle n’était pas justifiée : elle occupe tout un étage avec ses filles et le salon est une salle de garderie dans la journée.

Finalement, personne n’est satisfait, personne ne veut réellement faire d’efforts. Il faudra vendre cette maison. Pourtant, je ne vais pas le faire maintenant. Trop compliqué et aucune assurance de retrouver plus de sérénité dans une autre situation. Et puis, je pense que se serait me séparer de ma-dame. On a beau se dire que l’on se verrait quand les enfants seraient chez leur autre parent, mais si l’on constate le nombre de semaines où nous avons été décalés, désynchronisés, il nous resterait peu de temps à passer ensemble. Enfin, je vais refaire mon CV et pense sérieusement à m’exiler. Je vais faire patienter tout le monde un peu.

Mes filles passent en année supérieure à la fac. Restent des documents à fournir et je suis surpris de la complexité des choses. C’est pourtant une chose logique et normale que de passer dans l’année supérieure.
Mon fils va aller au lycée l’année prochaine et nous sommes à 30 minutes à pied. Il va pouvoir bénéficier de notre relative proximité et c’est le domicile de sa mère qui se trouve maintenant éloigné de son établissement scolaire. Juste retour des choses. Tout vient à point à qui sait attendre.
Ma petite dernière qui n’est plus petite fera la route seule avec moi le matin. Il faut surveiller celle-la. Les générations se suivent mais ne se ressemblent pas.

J’ai pris quelques jours avec mes enfants et nous sommes à Paris. Visites de musées, de lieux historiques et dîners avec mon père. Il a beaucoup maigri. Il rentrera avec nous ce week-end pour une semaine en province. Tant pis pour ma-dame, je serai intraitable sur ce point, même si cela doit tuer définitivement notre couple. Mon souci, c’est d’arriver à rester le plus souvent possible à la maison la semaine à venir. J’ai des clients et une stagiaire. Je me débrouillerai.

IL Y A QUELQUES JOURS :
Mon père va rester presque 3 semaines. Je vais devoir le raccompagner chez lui pendant nos vacances. Cela me fend le cœur. Mon petit père, égoïste, vieillissant, dorénavant coincé dans le passé mais mon petit père. Mon père.
J’essaye de le décider à venir s’installer par ici. Des fois, je le sens prêt à accepter l’idée. Des fois, il fait marche arrière. Que peut être sa vie, seul, dans son petit studio ? La télé, la fenêtre, un jeu de carte, un appel de temps en temps. « J’ai eu une vie agréable ». Je connais cette phrase. Je crois que je voudrais la prononcer aussi parfois. Un bilan calme et résigné d'une vie dont on attend plus grand-chose.

Les enfants ne sont pas là. J’espère qu’ils s’amusent. Nous avons vu passer mon aînée. Ma-dame et elle ont fait les magasins ensemble. Amusant. Ma deuxième aînée est pleine de doutes. Je l’ai eu au téléphone. Elle voit son avenir un peu trop précisément tracé. Elle commence à rêver d’exil elle aussi. Fais le ma grande. Pars. Pars mais retourne toi de temps en temps. Nous avons aussi vu passer une des filles de ma-dame. Mes plus jeunes sont avec leurs cousins. Si le nombre de contacts que j’ai avec eux est proportionnel à leur ennui, ils s’amusent bien, je peux me rassurer.

Ma-dame et moi attendons de pouvoir souffler. Ce qui ne saurait tarder. Elle a besoin de se changer les idées. Elle a besoin de légèreté. Je suis attentionné, du mieux que je puisse. Je l’écoute. J’essaye d’aider. Elle est fragile mais se cache, comme beaucoup de femmes. Je crois qu’elle apprécie le respect et l’amour que je lui porte. Je regrette parfois de l’avoir entraîné dans cette aventure. Mais après tout, ce ne sont que des vies et les nôtres ne sont pas les pire.

J’ai des coups de fatigues épouvantables. Même respirer me fatigue dans ces moments là. C’est très désagréable. Je suis comme anéanti. Et puis je redémarre. Il ne faudrait pas que je travaille moins de 10h par jour. Ça n’a rien d’exceptionnel, beaucoup de gens travaillent plus que cela. Je travaille de la maison, je suis au moins près de mon père. Moi. Mes problèmes. Mon nombril. C’est curieux une vie, un homme. Je pense à nous tous, chacun avec nos désirs, nos angoisses, nos joies, nos peines. Qu'en reste t’il après notre passage ? Qui saura ce que nous pensions, ressentions ? Qui pourra entrevoir la complexité de nos existences pour la plupart si médiocres, au moins en apparence ? Des générations se succèdent. Nous, aujourd’hui, via les outils et supports dont nous disposons, avons la possibilité de laisser – plus facilement qu’avant - un message à ceux qui nous succèderons. Je pense aux enfants de nos enfants. Leur laisser entrevoir ce qu’il y avait derrière la photo – numérique – de leur arrière grand aïeul. Curieux comme pensée.

Plaie d’argent n’est pas mortelle. Heureusement. Je suis fauché comme les blés. Je ne sais pas comment j’ai réussi à me mettre dans cette situation. J’ai des sentiments partagés à ce sujet. Je pense à ceux qui sont en permanence au bord du gouffre, à ceux qui y tombent, à ceux qui ont touché le fond. Et quand les impôts nous contactent pour nous faire part d’une erreur sur le calcul d’une taxe il y a un an et exigent un paiement immédiat, je suis content de contribuer à un peu de solidarité. Mais je voudrais cette solidarité sélective. Parler de gaspillage est politiquement correct, c'est même dans l'air du temps, nous sommes en période de "rigueur". Parler de parasites ne l’est pas. Pourtant, il y a les deux. Du gaspillage, à tous les niveaux – que l’on tente de compenser par des effets d’annonce – et des opportunistes. Ceux que je crains le plus sont ceux qui avouent sans complexe leur attitude en la justifiant parce que « si ce n’est pas eux, ce sera quelqu’un d’autre ».

IL Y A… MAINTENANT :

J’espère que ceux qui passeront par ici se souviendront de moi.
Mais non, je voulais dire que j’espère que ceux qui liront ce mot ont passé, passent ou vont passer de bonne vacances, qu'ils se forgent un moral d’acier et une santé de fer (avec une pincée d’inox pour ne pas rouiller trop vite…).

« Et c'est le temps qui court, court, qui nous rend sérieux.
La vie nous a rendu plus orgueilleux
Parce que le temps qui court, court, change les plaisirs
Et que le manque d'amour nous fait vieillir.
À l'heure qu'il est, mes voitures de plastique
Sont devenues vraies depuis longtemps
Et finalement, les affaires et l'argent
Ont remplacé mes jouets d'avant.»

(Adaptation française d’Alain Chamfort d’une chanson de Barry Manilow)