vendredi 21 février 2014

L'impasse appelée villa - deuxième partie

Les toilettes étaient glaciales. Pas de chauffage. le réservoir à eau était en hauteur et je crois bien qu'il fallait tirer sur une corde qui en pendait pour activer la vidange.
Poser ses fesses sur cette cuvette froide était un supplice. Et même si elle se réchauffait au contact de nos séants, il n'en restait pas moins que la pièce était gelée en hiver.

Nous venions presque tous les dimanches. Les trois femmes s'activaient dans la cuisine qui étaient remplie de mets aux odeurs délicieuses. Le repas du dimanche midi avait quelque chose de sacré.

Il se prenait dans la salon - salle à manger qui donnait sur la petite entrée. La porte de séparation était vitrée sur sa partie supérieure. Le verre étai dépoli et avait une décoration périphérique aux motifs géométriques. Cette porte était toujours ouverte. Deux vieux fauteuils étaient placés sur la gauche de la pièce, face aux fenêtres. Une immense table sur laquelle était posé un plateau en verre la couvrant entièrement occupait presque toute la pièce. Il y avait des chaises en bois avec assise en cuir et longs pieds fins sur trois de ses cotés et un canapé très creux sur le quatrième. Grand renfort de coussins permettaient à ses occupants d'avoir une hauteur acceptable pour les repas où nous étions huit. Les places étaient toujours les mêmes. Mon père trônait à une des extrémités comme fils de la famille bien que mon oncle soit plus âgé de deux ans que lui. Mon oncle était une pièce rapportée... Mon arrière grand mère, l'aïeule de la famille était assise à l'autre extrémité. Ma tante, mon oncle, ma cousine se partageaient la canapé. Ma mère, ma grand-mère et moi leur faisions face.

Derrière nous, contre le mur de séparation d'avec la cuisine, se trouvait un long buffet dont la façade dessinait une courbe. Il devait avoir six portes, toutes courbes. C'était amusant de voir leur forme en les ouvrant. Il était assez large. A une de ses extrémité était une réserve magique de bonbons et de sucreries. J'adorais m'y plonger après le repas, quand les adultes buvaient leur café avec mar. Il y avait en particulier de gros bonbons comme des quartiers d'orange (plus petits tout de même, mais d'une taille bien supérieure aux modèles que l'on trouve communément en rayon aujourd'hui), fourrés sous la partie acidulée, d'une pâte au parfum de citron, d'orange... ou de menthe ! Ceux à la menthe avaient ma préférence. Il y a eu aussi, des barres chocolatées mais elles sont apparues quelques années après les bonbons, calissons d'Aix, coussins lyonnais et autres bêtises de Cambraix.

Avant le repas, il y avait l'apéritif. Mon père et mon oncle buvaient un alcool anisé - qui n'était pas du pastis - qui embaumait la pièce. Je ne bois plus d'alcool depuis un peu plus de deux ans maintenant et c'est sans doute le seul que je regrette. J'en boirai à nouveau un jour, dans plusieurs années, c'est certain. J'allumerai peut être une cigarette aussi. Des charcuteries particulières, des purées de légumes ou d'œufs de poissons, du pain frais, constituaient la partie solide. Je ne sais plus ce que je buvais. Un soda quelconque j'imagine.

Le repas avait toujours plusieurs plusieurs entrées.  Certaines nécessitaient un long temps de préparation. Le plat principal était souvent une viande avec du riz et des "haricots combos". Je crois qu'on les appelle ainsi en français. Fromage, fruits et... gâteaux, mais un peu plus tard, clôturant le repas. J'attendais avec impatience l'arrivée des gâteaux.  Que de sucreries. Ma cousine s'est abîmée l'estomac avec les sucreries, quelles devaient continuer à manger dans la semaine. Moi, je n'y avais accès que le weekend. Je crois que j'ai tout même eu ma première carie à trois ans...

Derriere le salon, se trouvaient deux autres pièces,  en enfilade. Dans chacune d'elles,  il y avait un lit, une grande armoire et une ou deux machines. Dans la première pièce - la chambre de mon arrière grand mère - un grand lustre pendait du plafond et touchait presque la tête des adultes. Il était si bas que lors d'un défilé militaire  improvisé avec une grande règle de couturier, j'avais cassé plusieurs bulbes en verre. Comme pour les autres bêtises,  ni ma tante, ni mes grands mères n'avaient donné la raison de la casse à mon père.
Il y avait cette grande règle car elles étaient toutes les trois couturières à façon. Les trois machines étaient une surjetteuse et deux machines à coudre. Il y avait aussi de grands,  très grands sacs de chutes de tissus. J'y piochais pour faire des porte-monnaies ou des vêtements pour mes "action man". Parfois, ma cousine et moi les vidions sur le plancher pour faire un gros matelas qui occupait toute la pièce. Un de nos autres jeux était de récupérer les épingles coincées entre les lattes avec un aimant en forme de U.

Je ne m'en souviens pas, mais il semble que tout petit, j'ai parcouru l'appartement en vidant des sachets de lessive. Il est aussi dit que j'ai jeté par la fenêtre toutes sortes de choses, que le voisin du dessous ramenait à mes trois anges gardiens.

J'ai toujours une de ces grandes armoires. Sans charme particulier, elle abrite maintenant mes "archives" (livres, notes, revues...) et me rappelle ce jardin secret dans l'impasse. La deuxième n'a pas supporté nos nombreux déménagements.

J'ai dormi plusieurs fois dans le canapé du salon, même quand j'étais collégien. Je crois bien avoir fait la route en mobylette une fois. La pendule sur le buffet était très bruyante mais son tic tac ne me gênait pas. Il n'y avait pas de volets mais des rideaux dont  les motifs représentaient des sortes de girafes stylisées -  sorties du début des années 60 - qui cachaient mal l'éclairage du lampadaire en face de la maison.

Nous sommes venus souvent le dimanche.

Mon arrière grand mère est morte dans cette maison. Les dernières fois où je l'ai vu, elle grimaçait de douleur quand mon père essayait de la redresser sur "son fauteuil", celui où elle s'endormait avant, le menton posé sur son tablier noir qu'elle ne quittait jamais. Tout comme son fichu sur la tête,  qui n'avait rien de religieux. Je me souviens ma surprise le jour où j'ai découvert qu'elle avait des cheveux longs coiffés en deux grandes nattes.
Sa position quand elle s'endormait sur le fauteuil me faisait rire. Sa tête dodelinant au rythme de sa lente respiration, parfois accompagnée d'un ronflement soudain.
Ce sont les seules fois où je l'ai vu se plaindre. C'était surprenant de la part de cette femme si forte.

Ma mère est tombée malade et elle eut rapidement des problèmes pour se déplacer.  Cet escalier impossible barrait l'accès de mon ancien  "jardin".
Nos visites se sont espacées.

Parfois, ma grand mère ma tante, mon oncle, ma cousine  venaient nous voir chez nous.
Et puis ma mère est morte.

Je me suis marié. Grande aînée est née,  nous allions chez ma tante, plus chez ma grand mère, c'était plus confortable, plus pratique.

Et puis ma grand mère est morte. La maison a été vidée et vendue. Je n'ai pas été particulièrement touché par la soudaine inaccessibilité de l'ancien petit paradis. La vie m'avait donné d'autres joies, d'autres buts.

En ouvrant la cave de mon père, il y a presque deux ans, j'ai retrouvé le lustre et une grande partie des bibelots qui décoraient la maison.  Ils sont pour l'ensemble assez moches, certains étaient cassés - mon cher père les avait empilé sans aucun soin... - mais je les ai gardé. Ils m'emcombrent mais sont des souvenirs dont je ne me débarrasserai pas sans y être forcé.  Ils sont comme les témoins silencieux d'une époque qui a disparu, ceux de l'insouciance de l'enfance,  du souvenir d'une famille, du temps d'avant les premières blessures de la vie.

2 commentaires:

  1. Euh... désolée pour nos projets, ça va pas être possible là :)

    JOYEUX ANNIVERSAIRE PADRE !

    Man

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