Du sable…
C’est donc ça une vie. Elle s’écoule et puis
un jour on prend conscience de sa
brièveté. Et cette idée ne vous quitte jamais plus…
J’y
pense chaque jour maintenant. C’est court une vie, quelle que soit sa durée
réelle. Longtemps on croit qu’on a le temps. Mais non, on n’a jamais le temps,
même à vingt ans, même avant. Car tout ce qui nous entoure est mort l’instant
après qu’on l’ait vu. Le présent n’existe pas. Il est cette limite abstraite
entre ce qui a été et ce qui sera.
A peine a-t-on l’impression d’avoir saisi
l’instant qu’il s’est déjà enfui.
Les photos, les films, nous montrent cette
inéluctable marche du temps.
Tous ces gens, ils n’existent plus, ils ne
sont plus ce qu’ils étaient.
Ces enfants jeunes, jamais plus je ne le
verrai, jamais plus je ne les embrasserai, je ne le serrerai dans mes bras. Les
châteaux de sable que je n’ai pas fait, les bains de mer que je n’ai pas pris
avec eux, ils ne reviendront pas. Ces enfants, les miens, ont maintenant l’âge
d’avoir des enfants. Il faut que je leur dise de ne rien manquer, que je leur
dise de vivre l’instant « présent », d’être « présent »
dans le « présent ».
Cette jeune fille sur cette photo, cette jeune
femme sur celle-là, jamais je ne les connaîtrai. Je les aurais aimées, j’en
suis sûr, comme j’aime celle qu’elles sont devenues, celle que j’aime aujourd’hui. Elle aussi me
dit qu’elle aurait voulu pouvoir faire des projets vagues sur une vie future
dont on peut ne pas deviner la fin. Imaginer des chemins flous, des directions
vagues, en se disant « pourquoi pas ? », sans essayer de séparer
le rêve de l’impossible.
Mais ce qu’il reste de la route est moins
drôle. Le déclin, dans la dignité si cela est possible, mais le déclin amorcé
depuis des années se fait moins discret jour après jour. Ses marques ne sont
plus niables.
Oui, c’est ça une vie. Longtemps on croit
qu’on a le temps et puis un jour on comprend que non. Et cette idée s’insinue
dans tout, se répand comme des flots boueux qu’aucun obstacle ne peut contenir.
Profiter de ce qui reste ? Evidemment.
C’est ce qu’il faut faire. Mais cette insouciance perdue, cette conscience de
la mort, plombe tout ou presque.
Et comment accepter de perdre son temps quand
on sait qu’un jour il ne restera rien ?
Inutiles, futiles, stériles, voilà ce que sont
la majorité de nos actes.
Je vois bouger les autres, je les entends
parler, je vois comment ils sont entre eux, ces mensonges, ces calculs, cette
violence, cette haine, cette rage
« -
Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent
lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu,
pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon
crâne incliné plante son drapeau noir. »
Charles
Baudelaire, « Spleen ».